CINÉMA – LITTLE GIRL BLUE – BLEU AU COEUR

Mona Achache

C’est un film bien original que cette petite fille d’écrivains de mère en mère nous offre.

Où nous mène-t-elle ?
Un huit clos où les femmes ont la première place. Mona Achache se met en scène face à Marion Cotillard à qui elle demande d’incarner sa mère Nicole Achache. C’est bien un documentaire où la fiction s’invite pour alléger le processus filmique. La narration se met en place et on a du mal à comprendre ce qui se fabrique sous nos yeux. Marion Cotillard est docile, elle entre dans le jeu tout simplement en se déguisant en Nicole. Une perruque, des lunettes, des bottines et des vêtements de la morte. Mona Achache lui demande de devenir sa mère et de reproduire des moments qui ont été enregistrés.

Un documentaire ou une fiction ?
Le film trouve enfin son rythme . On est admiratif du talent de Marion Cotillard qui joue une sorte de doublure. Un dispositif complexe, fictionnel pour les besoins du réel. Le documentaire est ainsi fait aujourd’hui. Les réalisatrices qui racontent des histoires familiales fictionnalisent leurs proches. Mais enfin le premier documentaire Nanouk l’esquimau de Robert Flaherty c’était déjà de la fiction. Les images ont brûlé (la pellicule c’est fragile !) le réalisateur a donc refait jouer leur propre rôle aux protagonistes qui sont devenus des personnages et donc des acteurs. D’un accident est né le premier film fiction du réel. Aujourd’hui le documentaire est scénarisé par choix et les dispositifs sont beaucoup plus imaginatifs. Les adolescentes de Sébastien Lifshitz nous perdait déjà dans les méandres de la fiction, en restant pourtant dans le réel. Est-ce que Little girl blue aurait pu se faire différemment puisque les enregistrements, les archives photos auraient pu faire un documentaire sans ce lourd dispositif ? Oui mais Mona Achache a choisi une excellente actrice comme figure de mère et raconter une histoire très personnelle sans y mettre de l’intimité. Pourtant la réalisatrice joue son propre rôle, évoque la vie des femmes de sa famille mais le film ne frôle pas l’intimité. Mona Achache est également actrice et on le sent. Elle interprète un rôle. Ce dispositif a pour intérêt de mettre à distance tout débordement d’émotion. La réalisatrice reste de marbre ! Elle prend de la distance.

Un monde à l’envers

Un monde d’intellectuel qui se livre à nous avec ses affres. Des noms sont cités. Des qualificatifs pas très gratifiants au sujet de l’illustre Jean Genet. Un autre documentaire Notre père des fleurs de la très chère Dalila Ennadre, disparue avant la sortie de son film, a été réalisé au sujet de Jean Genet. Mais Dalila a sublimé cet auteur en filmant la famille qui s’occupe du cimetière près de Tanger où Jean Genet repose face à la prison de Larayache. On parle beaucoup de Jean Genet dans le film Little girl blue. Jean Genet était proche de Nicole Achache, mère de la réalisatrice Mona Achache, et surtout proche de sa grand mère Monique Lange elle-même auteure et psychanalyste. Des femmes sous influence donc. L’intelligence d’un homme et le revers de son monde va exploser à la figure de ces femmes de génération en génération.

Film thérapie
Saint Omer, entièrement fictionnel, où Alice Diop met à l’honneur la relation mère-fille nous parle de cette thérapie nécessaire. La plaidoirie de l’avocate dans Saint Omer raconte un lien biologique que toute fille devrait connaître. Nicole Achache partage son constat douloureux : il existe un atavisme de mère en fille, une transmission au delà des gênes. Les derniers films de jeunes réalisatrices servent à nous raconter ce que jamais il nous a été dit de ces liens transmis de mère en fille depuis des générations. On sort silencieux parce que nous avons toutes et tous des histoires familiales. Little girl blue est une tragédie. Une réflexion sur ce que nos mères nous laissent de leurs histoires dans nos bagages de grande fille. Mona Achache ne règle pas ses comptes. Elle répare. Elle dissèque ! Marion Cotillard entre dans cette relation sans rechigner ni s’opposer à cette expérience filmique. « Pourquoi reproduire si ça vous fait mal ? » Parce que le mal est déjà fait et le reproduire permet de crever l’abcès. La réalisatrice traite de cette relation fusionnelle, d’identification et d’aveuglement. Pourquoi les mères se voilent souvent la face ? Un film très personnel et à la fois très surprenant par ce dispositif obsessionnel. Monique Lange, La grand mère de Mona Achache, était psychanalyste, la réalisatrice garde son calme face à ce film thérapie.

R.B.E

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